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Romain GRAVIER

Le berger des abeilles

Profession agriculteur

Le chant des abeilles au cœur du rucher de Romain Gravier, à Val-Cenis-Lanslebourg, en Haute Maurienne Vanoise, produit un effet grisant et relaxant. Cette vibration de l’air que produit Apis Mellifera en battant des ailes 230 fois par seconde et en faisant vibrer son thorax est l’une des étranges et belles musiques que produit la nature. Cette énergie se propage dans l’air sous forme d’ondes basses fréquences mesurées à environ 230 hertz.

Aussi loin que remonte sa mémoire, Romain, a connu ce vrombissement des abeilles. « J’ai grandi au milieu des ruches de mon père », se souvient-il. Jean-Louis, un professionnel du BTP, qui trouvait le dimanche un ressourcement inépuisable dans l’apiculture, a transmis au fils sa passion. Piqué par l’abeille, au propre comme au figuré, Romain en a fait son métier. Il avait pourtant imaginé qu’il élèverait des truites, après avoir obtenu deux BTS, en Gestion et Protection de la Nature et en Aquaculture ! Il fait aujourd’hui partie de la quinzaine d’apiculteurs professionnels de la Savoie. Avec Félicien Détienne à Aussois, ils sont deux à exercer le métier en Haute Maurienne Vanoise.

Romain est agriculteur mais il produit du miel, pas du beaufort. Aussi, quand il se rend aux réunions du Gida, ce n’est pas pour parler de ses Tarines ou de ses Abondances, mais de sa Buckfast, la variété d’abeille qu’il élève et avec laquelle il travaille : une anglaise sélectionnée au siècle dernier par un moine bénédictin de l’abbaye de Buckfastleigh (Devon). Comparée à l’abeille noire endémique à nos régions, la Buckfast n’a que des qualités pour l’apiculteur : « C’est une bonne productrice de miel, avec des reines prolifiques, elle est frugale, très douce et pique peu » s’enthousiasme Romain. Bref, une « merveille » !

Les abeilles vivent en nombre, jusqu’à 60 000 individus par ruche. Mais ce ne sont pas des animaux casaniers, elles ont même la bougeotte, la manie de l’essaimage, c’est le mode naturel de multiplication des colonies. Une partie du travail de Romain consiste donc à les maintenir dans ses ruches suivant différentes méthodes et en plaçant ces mêmes ruches, à la belle saison, dans des endroits ensoleillés, où il y aura peu de vent et beaucoup de fleurs alentour. Un bon éleveur soignant bien ses abeilles devient un bon apiculteur, et seulement alors ses protégées produisent durablement et en quantité ce qu’il attend d’elles : le miel. Un produit recherché et consommé par l’homme depuis au moins 40 000 ans, les premières traces d’interactions entre chasseurs-cueilleurs et abeilles remontent en effet au Paléolithique supérieur.

« Je suis agriculteur, mes "Tarines" à moi ont des ailes »

« On ne me considère pas toujours comme un agriculteur, mais c’est pourtant bien ce que je suis, et je suis fier d’appartenir à cette catégorie socioprofessionnelle », dit Romain. Il souhaiterait que son métier soit mieux connu. « L’apiculture est bien à la mode, des associations d’amateurs fleurissent et l’on voit même de plus en plus de gens adopter une ruche, qu’ils placent dans leur jardin… Mais c’est une vision simpliste de l’apiculture. » Pour Romain, c’est une activité à plein temps, technique, complexe, qui demande une attention permanente.

« J’ai compté jusqu’à 220 ruches et je produis de 3 à 6 tonnes de miel par an, cela m’occupe tous les jours ». Sa saison d’apiculture, il l’attaque en avril, après un hiver passé à encadrer des cours de ski de fond. Il réalise tout d’abord plusieurs allers-retours en Provence, à Brignoles, pour reprendre ses ruches après l’hivernage. Il les remonte jusqu’ici et les répartit sur Bessans, Lanslebourg, le Mont Cenis, Sollières… dans des endroits où elles pourront prospérer sans gêner quiconque. Après quelques semaines de butinage, la récolte peut commencer : enfumage des abeilles pour travailler sereinement, décollage et brossage des cadres contenant les cellules à miel, transport jusqu’à la miellerie, désoperculage des alvéoles, extraction du miel, filtrage, maturation, conditionnement dans des pots portant l’étiquette avec toutes les mentions légales. A l’automne, chemin inverse vers le Sud, il faut redéménager les ruches à Brignoles. Romain écoule presque toute sa production en Haute Maurienne Vanoise, dans des commerces de village et dans les magasins de la Coopérative agricole.

L’été sous la combinaison de protection... des ruches lourdes…

Une activité harassante !

On considère souvent et à juste titre que l’abeille est une belle travailleuse et qu’elle ne rechigne pas à la tâche ni devant les difficultés. Romain Gravier leur ressemble, mais cela lui pèse parfois sur le dos et les épaules. « Les manutentions et transports de ruche sont harassants : une hausse pèse une trentaine de kilos, la ruche entière, une cinquantaine. »

Bénéfice de tout ce temps donné à l’activité :

l’incomparable expérience de Romain. D’année en année il est toujours plus efficient dans son travail. « Mes belles ruches sont plus nombreuses qu’avant ! » Une belle ruche ? C’est une ruche qui travaille bien, n’essaime pas, produit suffisamment de miel, avec des abeilles peu agressives et qui vont bien. « Avec de bonnes ruches, je n’ai pas moins de travail, mais cela permet globalement d’abaisser le niveau des contraintes sur la saison, d’augmenter la qualité de vie au travail, d’assurer une production suffisante, avec des miels de qualité proposés à la vente, c’est cette optimisation que recherche l’apiculteur. »

Et parmi ces bonnes ruches toujours plus nombreuses, Romain a ses préférées, même s’il est difficile d’entretenir un lien affectif avec un insecte, fut-il une reine abeille !

« Oui, j’ai mes chouchous, il y a des reines que j’aime plus que d’autres, et que je suis toujours triste de remplacer au bout de trois ans, quand elles sont à la fin de leur vie. »

Le temps des menaces

Mais tout ne va pas au mieux dans le monde des abeilles. Les chiffres de la production nationale le traduisent : Il y a 20 ans, la France produisait 40 000 tonnes de miel, en 2019, c’était moins de 10 000 tonnes ! Les supermarchés regorgent donc de miel chinois, la Chine est aujourd’hui le premier exportateur de miel au monde. Ironie du sort, le principal parasite de l’abeille aujourd’hui, l’acarien Varroa (Varroa destructor), apparu en France au début des années 80 et qui s’attaque aux larves et aux abeilles, est originaire du Sud-est asiatique. Là-bas, il vit en équilibre avec l’abeille locale, Apis cerana, mais en Europe il décime Apis Mellifera (sic).

Il y a aussi le « petit coléoptère de la ruche » (Aethina tumida) d’origine sud-africaine. Née dans la ruche après y avoir été pondue, sa larve se nourrit de pollen, de larves et d’œufs d’abeilles ainsi que de miel. Et puis il y a les pesticides de l’agriculture intensive. Cette dernière menace pèse globalement sur tous les insectes pollinisateurs (ceux qui butinent). Entre 5 et 8 % de la production agricole mondiale serait menacée par leur extinction. Sans eux moins ou plus de café, de chocolat, de pommes…

« Dans certaines régions de France, on paie des apiculteurs pour qu’ils disposent leurs ruches sous les vergers, afin que leurs abeilles pollinisent les arbres fruitiers », constate Romain avec quelque dépit. Heureusement, ici en Haute Maurienne Vanoise, les abeilles ne connaissent pas la menace pesticide. La montagne est plus préservée et ici l’AOP beaufort la protège des intrants. Pour autant les pratiques agricoles évoluent, « c’est plus cultivé, c’est plus vert avec moins de fleurs, la luzerne est coupée avant la floraison... »

Menace plus sourde, le changement climatique. « Les saisons font le yoyo, avec des montées de température et du froid. En juin, des abeilles sont mortes de froid… »

Vers une diversification des produits ?

Romain Gravier aime son métier et si c’était à refaire, il le choisirait encore ! « Juste je ne commettrais plus les erreurs du début. Je pense qu’à l’heure de la transmission, quand la retraite approchera, mon rucher sera parfait », dit-il en souriant, conscient qu’une vie entière d’apiculteur n’est pas de trop pour maîtriser tous les paramètres de l’activité, avec sa compléxité et ses aléas. Son père l’aide beaucoup au rucher, mais il pense se mécaniser un peu à l’avenir, pour alléger la manutention et soulager le corps. Romain ne fait que du miel, mais il est aussi intéressé par l’élevage des reines, pour son propre rucher. Une reine, une ruche. « Renouveler les reines coûte une trentaine d’euros par individu, j’ai donc commencé à les élever. C’est aussi une activité particulièrement intéressante qui ponctue ma routine ».

Parmi ses projets, Romain envisage de développer la collecte du pollen, il y a une demande client. Il s’intéresse également à l’hydromel, une boisson fermentée, faite d'eau et de miel. Un produit qui, pour sûr, intéresserait les amateurs de produits locaux et de terroir !

Et les vacances alors ? Romain y pense, car il faut aussi partager le temps. Et pour le ressourcement personnel, il reste les randos, à la fin de la saison apicole et avant le ski de fond, et la chasse.

Bruno Cilio

Terra Modana n°222 

© Photos Bruno Cilio

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